En cours avec Madame Saitout
- Du fin fond de la grotte… -
En cours avec Madame Saitout
- Du fin fond de la grotte… -
“C’est juste une illusion, à peine une sensation
qui dirige tes pas, qui te montre du doigt où tu vas”
(Juste une illusion, J-L. Aubert, 1986)
S’avançant vers la salle, Mme Saitout s’adresse au groupe: “Avant de découvrir cette fameuse image de Platon, je vous propose de redéfinir ce qu’est une allégorie. Une idée?”
“À peine commencé que c’est déjà soporifique” se dit Frida, installée tout au fond de la salle, contre la fenêtre qui donne sur le parc de l’école maternelle, juste à côté du lycée. Plus attirée par le ciel bleu que par les plafonniers à halogène éclairant par intermittence, elle décide de faire abstraction du cours. Dehors, une fillette souffle dans une baguette à bulles. Oh! Ce qu’elle aimerait y être, elle aussi. Elle soufflerait dans la baguette et regarderait les bulles s’envoler vers les nuages, puis disparaître au loin.
Au premier rang, s’agitant sur sa chaise, le doigt en l’air et les sourcils levés laissant deviner deux rides naissantes sur son jeune front, Véra espère être l’élue qui montrera à Mme Saitout et au reste de la classe l’étendue de ses connaissances. C’est avec un soupir de soulagement contenu qu’elle baisse sa main pour répondre à l’acquiescement de sa professeure. Droite comme un i, elle explique: “Le substantif 'allégorie' provient du grec 'agora', qui signifie 'assemblée du peuple' et 'allos', 'autre'. Il fait référence au fait de produire un discours par le biais d’un autre discours, c’est-à-dire de construire une démonstration métaphorique.
-Merci Véra. Pourrais-tu préciser ce que tu entends pas 'métaphorique', s’il-te plaît?”, l’enjoint son enseignante.
Flattée, l’élève continue: “Oui, bien sûr! Le terme métaphore vient du grec 'metaphora' qui signifie 'transport, changement'. Il renvoie à l’utilisation d’une image concrète pour expliquer un élément abstrait.” Devançant sa professeure, elle ajoute: “Alors, une allégorie, c’est une construction métaphorique qui sert à expliquer une idée. Par exemple, ça peut être une histoire qu’on raconte pour expliciter un message qu’on veut transmettre.
-Tout à fait! Alors, Véra, si tu la connais, peux-tu expliquer à la classe ce qu’est l’allégorie de la caverne?”
Gênée, Vera se recroqueville sur sa chaise et baisse les yeux. Elle savait qu’elle aurait dû se retenir de participer. Mais c’était plus fort qu’elle! Oh, non! Après avoir fait l’intéressante devant la classe, on va maintenant s’apercevoir qu’elle manque de culture. C’est vraiment pas comme ça qu’elle va se faire des amis.
Pour toute réaction, Mme Saitout s’adresse au groupe: “L’allégorie de la caverne est un récit provenant du livre VII de la République, du philosophe du IVè siècle avant J-C, Platon. Le personnage qui produit cette allégorie est Socrate. Vous vous souvenez de lui? Nous en avions parlé il y a quelque temps. Dans cette allégorie, il présente un groupe d’hommes enchaînés au fond d’une caverne, condamnés à regarder devant eux de leur naissance à leur mort. Derrière les prisonniers, se trouve un feu et, derrière ce feu, se tient un marionnettiste qui agite ses figurines devant les flammes, projetant des ombres sur le mur de la caverne, sous les yeux des prisonniers. N’ayant jamais rien observé d’autre que ces projections sur le mur, cette réalité est la seule que les prisonniers connaissent. Socrate se dit alors que si l’on détachait l’un d’entre eux et le forçait à sortir de la caverne, il serait contraint d’observer le monde sous un jour nouveau et d’admettre que tout ce qu’il avait connu jusqu’alors n’était qu’une illusion. S’il devait ensuite redescendre dans la caverne pour informer les autres de sa découverte, il serait bien sûr pris pour fou par ses anciens compagnons qui, eux, n’ont pas conscience de cette réalité…”
S’agitant sur sa chaise, comme prise d’une envie pressante, Véra ne peut résister à son impatience et interrompt son enseignante: “Mais, alors, on ne peut jamais être sûr de rien?” Ce à quoi Mme Saitout répond: “Pour Platon, Véra, nos sens sont trompeurs et l’âme humaine est guidée par la quête de la vérité, en dehors de toute opinion préconçue. Il estime que le monde provient d’un chaos des idées originelles (les concepts) où vivent les âmes. Lors de leur incarnation, les âmes oublient ces idées initiales et leur objectif est de les retrouver afin d’accéder au plaisir de la connaissance, qu’il appelle 'le beau'. Il est donc important de rechercher la vérité en utilisant la réflexion afin de pouvoir ensuite éduquer ses semblables à faire de même. C’est là tout le principe de la philosophie.”
Au fond de la classe, sa présence se faisant presque oublier, Frida, qui jusque-là semblait occupée à rêvasser, se redresse tout à coup: “Madame, est-ce que Platon s’est inspiré de Jean-Louis Aubert pour écrire son histoire?” Prenant sa plus belle voix, elle se met à chanter: “Juste une illusion, comme une bulle de savon qui s’approche de toi, que tu touches du doigt, puis qui s’en va, qui n’est plus là.”
Et vous, que vous inspire l’allégorie de la caverne ?
Rédigé par Inès Saint-Germain, le 17/09/25